En complétant les données issues de ce rapport par d’autres sources, on constate un apparent paradoxe : les thèmes portés par les défenseurs des animaux utilisés pour la consommation alimentaire ont gagné en popularité dans l’opinion ; pourtant, le nombre d’animaux sacrifiés à cette fin ne baisse pas.
Introduction
Il circule toute sorte de chiffres indiquant le pourcentage de végétariens par pays. La quasi-totalité de ces chiffres doivent être considérés avec la plus grande suspicion. Il y a en effet de bonnes raisons à la rareté de données fiables en la matière comme on le rappellera à la section 1.
Concernant la France, je n’ai connaissance que d’une seule étude fournissant des estimations à la fois relativement précises et dignes d’être prises au sérieux : l’enquête « Végétariens et flexitariens en France en 2020 » effectuée par L’IFOP pour FranceAgriMer. Elle a donné lieu à la publication, en 2021, de deux documents que l’on peut consulter en ligne : une synthèse des résultats en 9 pages, et un rapport complet. Il est à déplorer que le « rapport complet » soit en réalité un simple diaporama, certes étendu (139 diapositives), mais qui n’a ni la clarté ni la précision d’un véritable rapport rédigé.
Seuls certains aspects de cette étude retiendront notre attention ici, puisqu’on laissera de côté tout ce qu’elle contient à propos des omnivores et flexitariens. Après avoir indiqué (section 2) pourquoi cette enquête satisfait mieux que d’autres les critères permettant d’aboutir à des estimations recevables du nombre de végétariens, nous en viendrons (section 3) aux chiffres produits par les autrices de l’étude à propos des divers régimes sans viande. On s’attachera dans la section 4 à décrire ce qui ressort de l’enquête concernant les traits sociodémographiques des personnes qui éliminent tout ou partie des produits animaux de leur diète. Dans la section 5, on rappellera l’importance de ne pas s’en tenir aux réponses collectées grâce à des sondages pour évaluer l’évolution de la consommation de produits d’origine animale dans un pays. Enfin, on reviendra vers le rapport Végétariens et flexitariens en France en 2020 en conclusion pour évoquer le contraste entre la visibilité du végétarisme dans l’espace public et l’étendue limitée de sa pratique.
Afin de rester d’une longueur raisonnable, cet article s’en tient à présenter des chiffres tirés de l’enquête de l’IFOP ou calculés à partir de données qu’elle contient, et à expliquer comment ils ont été obtenus. Il n’entre pas dans l’analyse des facteurs qui conduisent certaines personnes à opter pour le végétarisme, ni dans l’examen des raisons pour lesquelles des végétariens cessent de l’être après avoir renoncé un temps à se nourrir d’animaux (Footnote: Il existe une vaste littérature à ce sujet. J’ai eu l’occasion d’en rendre compte partiellement dans des écrits antérieurs : chercher les 3 articles dont le titre comporte le mot « végétarien » sur cette page de mon site. Voir également sur mon blog, les 3 billets comportant « végétariens » dans leur titre, ainsi que le billet intitulé « Les véganes sont-ils stigmatisés ? ».), bien que l’enquête de l’IFOP aborde aussi ces questions (voir les chapitres 3 et 4 du rapport).
Avant de poursuivre, réglons un problème de vocabulaire. Un végétarien au sens large est une personne qui ne consomme pas de chair animale. Suivant cette définition, les végétaliens (qui ne consomment aucun produit d’origine animale) constituent un sous-ensemble des végétariens. Cependant, on constate que dans l’étude conduite par l’IFOP, le nombre de végétaliens est ajouté au nombre de végétariens (et de pescétariens) pour obtenir le nombre de personnes adoptant un régime sans viande. C’est donc que les autrices de l’enquête utilisent le mot « végétarien » au sens étroit, pour désigner des personnes qui ne mangent pas de chair animale, mais qui consomment des produits laitiers et/ou des œufs et/ou du miel. Dans la suite de cet article, je me conformerai à leur usage du terme « végétarien » et j’emploierai l’écriture « végéta*iens » pour désigner les végétariens au sens large (les végétariens au sens étroit + les végétaliens).
1. De la difficulté d’obtenir une estimation fiable du pourcentage de végéta*iens
Il est difficile d’estimer le pourcentage de végéta*iens pour deux raisons principales : le besoin de travailler sur de grands échantillons et le fait que selon la manière dont les questions sont posées aux personnes sondées, leurs réponses sur un même sujet (leur régime alimentaire) varient grandement.
1.1. Taille de l'échantillon
On ne connaît pas le pourcentage de végéta*iens dans la population et on n’a pas les moyens de l’établir en enquêtant auprès de chaque résident français. On va donc procéder comme à l’accoutumée face à ce type d’interrogation en sondant les personnes d’un échantillon extrait de cette population. Cet échantillon sera construit de façon à être représentatif de la population dans son ensemble, c’est-à-dire qu’il aura la même structure que la population selon certains critères sociodémographiques.
Seulement, on ne va pas pouvoir se contenter du traditionnel échantillon de 1000 personnes parce qu’on soupçonne le végétarisme et encore plus le végétalisme d’être des pratiques très peu répandues. Pour étudier des traits rares avec un minimum de précision et de fiabilité, on a besoin d’échantillons de grande taille. Plus le nombre de personnes sondées est élevé, plus une enquête revient cher. Voilà donc une première raison pour laquelle très peu d’études de qualité acceptable sont menées pour estimer le nombre de végétariens ou de véganes dans une population.
À titre d’illustration, donnons quelques ordres de grandeur des tailles d’échantillon requises. Supposons que vous vouliez mesurer la prévalence p d’une certaine propriété x dans la population, avec une précision relative de + ou – 20 % et un niveau de confiance de 95 % (Footnote: Cela signifie que si dans votre échantillon vous trouvez, par exemple, 5 % de personnes présentant la propriété x, vous voulez pouvoir en tirer la conclusion que voici : dans la population, le pourcentage de personnes ayant la propriété x se situe entre 4 % et 6 %, avec un niveau de confiance de 95 %.
On obtient les valeurs 4 % et 6 % en retranchant ou ajoutant (0,2 x 5 %) à 5 %.
La plage [4 % ; 6 %] est appelée « intervalle de confiance ».
La signification du niveau de confiance est la suivante. Si on répétait l’enquête un grand nombre de fois (par exemple 100 fois) en prélevant chaque fois un échantillon de même taille, environ 95 % des intervalles de confiance calculés contiendraient la vraie proportion p. Mais dans 5 % des cas, ils ne la contiendraient pas à cause des hasards de l’échantillonnage. Comme [4 % ; 6 %] est l’un de ces intervalles, notre degré de confiance dans la véracité de la proposition « p se trouve dans cette plage » est de 95 %.). Pour choisir la taille de l’échantillon, vous êtes obligé de faire une hypothèse sur ce que vous cherchez à déterminer (la prévalence de x). Vous subodorez que x est une propriété rare. Voici la taille d’échantillon qui vous semblera nécessaire selon le niveau de rareté que vous imaginez.
| Prévalence p supposée de x | Taille (n) de l'échantillon requise | Nombre de cas attendus (np) |
|---|---|---|
| 2 % | 4 802 | 96 |
| 1 % | 9 604 | 96 |
| 0,5 % | 19 208 | 96 |
| 0,1 % | 96 000 | 96 |
| 0,05 % | 192 080 | 96 |
Dans l’exemple ci-dessus, on aurait une centaine de porteurs du caractère x dans l’échantillon, ce qui est suffisant pour estimer leur profil sociodémographique dans la population selon des critères simples, tels que la répartition par sexe ou l’âge moyen.
Cependant, on constate que pour une même précision relative dans l’estimation de p, la taille de l’échantillon requise explose quand la prévalence supposée de x devient très faible. Or, il est très rare d’avoir les moyens d’enquêter sur plusieurs dizaines de milliers de personnes.
En pratique, quand on suppose un caractère extrêmement rare dans la population, on se contente d’une précision relative plus faible, de + ou – 50 % ou encore moins, ce qui permet de mener l’enquête sur un échantillon de taille plus raisonnable. Par exemple, si on suppose que la prévalence de x est de 0,1 %, on pourra se satisfaire d’un échantillon de 15 352 personnes si la précision relative recherchée est de + ou - 50 %. Il restera alors possible d’estimer l’intervalle dans lequel se situe p dans la population à partir de la proportion de porteurs du caractère x dans l’échantillon. Cet intervalle sera simplement plus large que si on avait demandé une précision relative plus forte.
Toutefois, en se contenant d’un échantillon plus petit, on perd la possibilité de décrire le profil, dans la population, des personnes présentant le caractère x. Le nombre de cas observés dans l’échantillon sera si faible qu’il serait tout à fait hasardeux d’extrapoler à la population entière les caractéristiques (sexe, âge, diplôme, etc.) constatées sur ces quelques cas.
1.2. Des réponses à géométrie très variable
Plaçons-nous à présent dans l’hypothèse où l’on dispose d’un échantillon de taille suffisante. Pour estimer le pourcentage de végéta*iens dans la population, il faut tenir compte d’un fait désormais bien établi : les résultats obtenus varient énormément selon la façon dont les questions sont posées aux personnes sondées.
La démarche qui semble la plus naturelle consiste à leur demander si elles sont végétariennes, ou à demander quel régime alimentaire elles suivent dans une liste qui leur est proposée : omnivore, pescétarien, végétarien, etc. On appelle « végétariens autodéclarés » les végétariens dénombrés de cette manière. Pourquoi ne dit-on pas « végétariens » tout court ? Eh bien parce que l’on sait que si l’on demande aux personnes ainsi repérées de détailler ce qu’elles mangent, une proportion très élevée d’entre elles va déclarer consommer des produits qui sont exclus dans le régime dont elles se réclament. Par exemple, dans l’étude américaine évoquée sur cette page de Faunalytics, on ne s’est pas contenté de poser aux enquêtés la question « Vous considérez-vous comme végétarien ? », on leur a aussi demandé un compte rendu détaillé de leurs prises alimentaires au cours de 24 heures. Résultat : il est apparu que la moitié des végétariens autodéclarés avaient mis de la viande ou du poisson au menu au cours cette journée. Imaginez ce que cela aurait donné si on avait fait cette vérification sur une période plus longue.
Si on veut savoir combien de gens trouvent sympathique de se situer du côté du végétarisme ou du véganisme, la détection des végéta*iens autodéclarés n’est pas dénuée d’intérêt. Toutefois, si l’on cherche à dénombrer les personnes qui ne mangent pas de chair animale, ou qui ne consomment aucun produit d’origine animale, il est indispensable que l’enquête ne s’arrête pas là. Sous une forme ou une autre, elle doit inclure des questions invitant les sondés à révéler s’ils consomment ou pas les produits exclus par le régime qu’ils disent suivre. Les résultats obtenus à cette seconde étape restent purement déclaratifs. Ils sont pourtant très différents de ceux obtenus lorsqu’on se contente de demander aux gens « l’étiquette » sous laquelle ils choisissent de se ranger.
2. Les atouts de l’enquête « Végétariens et flexitariens en France en 2020 »
L’enquête de l’IFOP a porté sur un échantillon de 15 000 personnes âgées de 15 à 70 ans. Cela reste insuffisant pour décrire le profil, dans la population, de personnes dont les pratiques alimentaires s’avéreraient extrêmement rares. Néanmoins, la taille de l’échantillon laisse espérer une meilleure estimation des proportions de personnes suivant différents régimes que dans les études classiques portant sur 1000 sondés.
L’échantillon a été construit de façon à contenir des représentants des diverses catégories de la population selon plusieurs critères : âge, sexe, CSP (+ inactifs), niveau de diplôme, présence d’enfants dans le foyer, région d’habitation, taille de l’agglomération de résidence (voir p. 6). Dans les résultats donnés sur les profils des sondés, les CSP se réduisent en fait à 2 classes : les CSP+ et les CSP- (voir leur composition p. 7). C’est en effet au niveau de la partition CSP+/CSP-/inactifs qu’on a fixé des quotas assurant que l’échantillon est représentatif de la population et non au niveau de chacune des CSP.
Enfin, l’enquête de l’IFOP respecte les bonnes pratiques en matière de dénombrement des personnes suivant tel ou tel régime, puisqu’elle fournit les résultats obtenus selon deux méthodes différentes. D’une part, elle interroge les sondés sur leurs pratiques en demandant à quelle fréquence ils consomment différents produits exclus par certains régimes alimentaires (viande, poissons, œufs, etc.). D’autre part, elle demande aux sondés d’indiquer quel régime ils ont choisi de suivre (autodéclaration). Dans le déroulé de l’enquête (voir p. 10), les participants sont invités à répondre au questionnaire de fréquence avant d’autodéclarer leur régime alimentaire, même si les résultats sont présentés dans l’ordre inverse dans le rapport.
Voyons à présent quels sont ces résultats.
3. Combien de végéta*iens et pescétariens dans la population française ?
Dans l’enquête menée par l’IFOP, les régimes alimentaires ont été subdivisés en 5 catégories : omnivore, flexitarien, pescétarien, végétarien et végétalien/végane. Les trois derniers régimes concernent peu de personnes. Dans certaines parties du rapport, ils sont regroupés sous la dénomination « régimes sans viande ».
3.1. La part des régimes sans viande qui ressort des autodéclarations
Avant de cocher la case correspondant à leur cas, les sondés ont été invités à lire les définitions des 5 options proposées (voir p. 17).
La répartition des enquêtés entre les 5 régimes qui ressort des autodéclarations est la suivante :

Dans le graphique ci-dessus (qui figure à la page 18 du rapport), les pourcentages ont été arrondis à une décimale après la virgule pour les régimes rares. On peut préciser davantage puisque le rapport indique le nombre de personnes de l’échantillon qui ont choisi de se rattacher à chaque régime. Sur les 15 000 personnes interrogées, 167 (1,11 %) se sont déclarées pescétariennes, 126 (0,84 %) végétariennes et 38 (0,25 %) végétaliennes.
Au total, dans un échantillon de 15 000 personnes, 2,21 % ont déclaré suivre un régime sans viande, et 1,09 % ont déclaré être végéta*iennes.
On peut sur cette base calculer (Footnote: ou plutôt faire calculer par l’outil d’assistance statistique de son choix.) dans quel intervalle (intervalle de confiance ou IC) se situe, en France, le pourcentage de personnes déclarant suivre chacun des 3 régimes très minoritaires (intervalles établis selon la méthode dite « exacte » de Clopper-Pearson, avec un niveau de confiance de 95 %). On peut de même calculer l’IC pour le pourcentage de végéta*iens (végétariens + végétaliens) ou pour l’ensemble des régimes sans viande (pescétariens + végétariens + végétaliens). Les résultats apparaissent dans le tableau suivant :
| Catégorie | IC95 % (Clopper-Pearson) |
|---|---|
| Pescétariens | 0,95 % – 1,29 % |
| Végétariens | 0,70 % – 1 % |
| Végétaliens | 0,18 % – 0,35 % |
| Végéta*iens | 0,94 % – 1,27 % |
| Total régimes sans viande | 1,99 % – 2,45 % |
Retenons qu’en France le pourcentage de végéta*iens autodéclarés se situe probablement entre 0,9 % et 1,3 %. Disons pour faire simple qu’il est de l’ordre de 1 %, tandis que le pourcentage de personnes disant suivre l’un ou l’autre des régimes sans viande est de l’ordre de 2 %.
Ces pourcentages peuvent sembler faibles par rapport à ceux que vous avez pu lire ici ou là. Ce n’est pas seulement parce que l’étude de l’IFOP est plus rigoureuse que d’autres, car menée sur un échantillon représentatif de grande taille. Comme on l’a dit, la structure du questionnaire soumis aux sondés par l’IFOP est telle qu’ils ont déjà répondu aux questions portant sur leur consommation personnelle de produits animaux au moment où on leur demande de choisir l’étiquette correspondant à leur régime. Ce facteur a sans doute dissuadé des consommateurs de chair animale de se déclarer végétariens, alors qu’ils l’auraient fait en d’autres circonstances. Est-ce que pour autant le déroulé du sondage a suffi à faire disparaître l’écart entre les pratiques déclarées et le régime déclaré ? Non, loin de là, comme on va le voir à présent.
3.2. La part des régimes sans viande mesurée d’après les réponses au questionnaire de fréquence
Dans l’enquête menée par l’IFOP le recueil d’informations sur les pratiques a revêtu la forme d’un questionnaire portant sur la fréquence de consommation d’une série de produits d’origine animale. Les résultats ont ensuite été comparés aux réponses données lorsqu’il a été demandé aux sondés d’indiquer quel était leur régime alimentaire. Une des formes que revêt cette comparaison dans le rapport complet est ce tableau que l’on trouve page 21.

Les grandes croix roses indiquent les produits exclus par certains régimes, et les colonnes de chiffres superposées à ces croix roses nous informent sur les pratiques des personnes disant suivre ces régimes.
On lit notamment au bas de chaque colonne, les fréquences de consommation moyennes par semaine de différents produits. Les pescétariens autodéclarés consomment en moyenne 1,4 fois de la viande par semaine. Les végétariens autodéclarés consomment en moyenne 1,1 fois de la viande et 1,2 fois du poisson par semaine. Les végétaliens autodéclarés consomment en moyenne 1,1 fois de la viande, 0,9 fois du poisson et 2,4 fois des œufs par semaine.
Les autres chiffres de chaque colonne sont des pourcentages. Prenons par exemple les chiffres superposés à la première croix rose sous la dernière colonne. Ils se lisent comme suit : 24 % des végétaliens autodéclarés consomment de la viande au moins une fois par semaine ; 9 % en consomment tous les jours ; 12 % en consomment plusieurs fois par semaine, mais pas chaque jour ; 79 % en consomment une fois par semaine ou moins, ou bien n’en consomment jamais. Le total de 100 % est obtenu en additionnant les chiffres associés aux bandes vert clair.
Les données figurant dans ce tableau suffisent à se convaincre qu’il est fréquent que les pratiques ne soient pas conformes au régime déclaré. Elles ne permettent pas toutefois d’établir quel pourcentage des personnes de l’échantillon suivent réellement le régime sans viande dont elles se réclament. En effet, certains déviants par rapport au régime affiché sont comptés plusieurs fois. C’est le cas par exemple d’un végétarien autodéclaré qui en pratique mange à la fois de la viande et du poisson. D’autres données du rapport fournissent l’information manquante.
3.2.1. Nombre et part relative des personnes dont la pratique correspond au régime autodéclaré
Ce tableau figure à la page 35 du rapport :

Le tableau nous apprend que seulement 57 % des pescétariens, 60 % des végétariens et 35 % des végétaliens autodéclarés ont des pratiques alimentaires conformes au régime qu’ils disent suivre. Ces pourcentages ont été arrondis au nombre entier le plus proche. Connaissant les effectifs des pescétariens (n=167), végétariens (n=126) et végétaliens (n=38) autodéclarés au sein de l’échantillon (n = 15 000), on peut à partir de ces pourcentages calculer combien de personnes remplissent deux conditions : déclarer suivre un des trois régimes sans viande et se conformer réellement au régime déclaré. On peut ensuite en déduire leur part relative dans l’échantillon (Footnote: Par exemple, on obtient l’effectif cherché pour les pescétariens en multipliant 167 par 0,57, ce qui donne 95 personnes dont la pratique est conforme au régime affiché. Pour obtenir leur part dans l’échantillon, on divise 95 par 15 000, ce qui donne 0,63 %. Les pourcentages du tableau ont été arrondis à deux décimales.).
| Catégorie | Nombre de personnes | Pourcentage |
|---|---|---|
| Pescétariens | 95 | 0,63 % |
| Végétariens | 76 | 0,51 % |
| Végétaliens | 13 | 0,09 % |
| Vegeta*iens | 89 | 0,59 % |
| Total régimes sans viande | 184 | 1,23 % |
3.2.2. Part relative des personnes pratiquant réellement un des régimes sans viande
Nous ne savons pas encore à ce stade quel pourcentage des sondés sont réellement pescétariens, végétariens ou végétaliens. En effet, il reste à effectuer le reclassement de personnes qui ont autodéclaré un régime qui ne correspond pas à leur pratique effective pour les ranger dans le régime correspondant à ce qu’elles consomment réellement. Parfois, ce reclassement les mène vers l’un des trois régimes sans viande. Par exemple, dans le tableau de la page 35 reproduit plus haut, on voit que 10 % des végétariens autodéclarés n’en sont pas, mais uniquement parce qu’ils mangent du poisson. Ces personnes ont déjà été retirées du groupe des végétariens à l’étape précédente (§3.2.1.). Il reste à les ajouter au groupe des pescétariens. De la même façon, les 25 % de végétaliens autodéclarés qui consomment du poisson, du lait, des œufs, ou du miel, doivent être reclassés soit en pescétariens, soit en végétariens, selon qu’ils ont indiqué ou pas consommer du poisson dans le questionnaire de fréquence.
À vrai dire, je n’ai pas trouvé dans le rapport de quoi effectuer l’ensemble des reclassements touchant les régimes sans viande (Footnote: Selon des calculs que j’ai effectués et dont je vous épargne le détail, il est probable que pour les végétaliens et végétariens, les pourcentages de vrais pratiquants viennent uniquement de transferts internes au groupe des « régimes sans viande ». Ce n’est pas le cas du pourcentage de « vrais pescétariens ». Il y a bien des végétariens et végétaliens reclassés en pescétariens. Mais ces apports ne suffisent pas à expliquer le pourcentage de pescétariens pratiquants indiqué dans le rapport. C’est donc que certains omnivores ou flexitariens autodéclarés ont été reclassés en pescétariens.). Peu importe : le rapport complet fournit (p. 31) les pourcentages des sondés dont la pratique correspond à la définition d’un des régimes sans viande, que les personnes concernées aient déclaré ou pas suivre ce régime : pescétariens 0,9 % ; végétariens 0,6 % ; végétaliens 0,1 % (Footnote: Ces pourcentages sont des valeurs arrondies à une décimale. Les effectifs exacts des personnes appartenant aux trois groupes ne sont pas indiqués.).
Sur cette base, on peut estimer, avec un niveau de confiance de 95 %, dans quelle plage se situe, en France, le pourcentage des pratiquants de chacun des régimes sans viande et de leurs regroupements (Footnote: Plus exactement : le pourcentage de pratiquants parmi les personnes de 15 à 70 ans, puisque l’enquête n’a porté que sur cette tranche d’âge.) : voir la colonne IC (intervalle de confiance) dans le tableau suivant.
| Catégorie | Dans l’échantillon | IC95 % (Clopper-Pearson) |
|---|---|---|
| Pescétariens | 0,9 % | 0,76 % – 1,06 % |
| Végétariens | 0,6 % | 0,49 % – 0,74 % |
| Végétaliens | 0,1 % | 0,06 % – 0,17 % |
| Vegeta*iens | 0,7 % | 0,58 % – 0,85 % |
| Total régimes sans viande | 1,6 % | 1,41 % – 1,81 % |
On peut retenir pour faire simple qu’en France, la proportion de personnes qui ne consomment aucune chair animale (végéta*iens) est inférieure à 1 % et qu’environ un habitant sur mille ne consomme aucun produit d’origine animale
4. Profil sociodémographique des personnes déclarant suivre un régime sans viande
Il est regrettable que le public n’ait pas accès à la base de données de l’enquête. On pourrait certainement en tirer un portrait social des personnes qui optent pour un régime sans viande (dorénavant notées « les rsv ») plus riche que celui esquissé dans le rapport.
En effet, celui-ci ne donne aucun chiffre décrivant le profil des personnes qui pratiquent effectivement les régimes excluant tout ou partie des produits animaux. On n’y trouve que quelques statistiques établies à partir des régimes autodéclarés.
De plus, à de rares exceptions près, les caractéristiques mesurées portent sur le collectif des 331 personnes qui ont dit suivre un régime sans viande, sans que ses 3 composantes (pescétariens, végétariens, végétaliens) soient distinguées. Ce regroupement est justifié (p. 39) par le fait que leurs profils sont semblables. On aurait pu voir à quel degré ils le sont si les chiffres avaient été donnés séparément pour les pescétariens et les végétariens ou les végéta*iens (Footnote: Il est vrai toutefois qu’il n’y a pas lieu de regretter l’absence d’une description précise des végétaliens autodéclarés de l’échantillon : ils sont trop peu nombreux pour que l’on s’aventure à en tirer des conclusions valant pour l’ensemble des végétaliens de France.). Enfin, le rapport ne détaille pas la répartition des 331 rsv autodéclarés selon chacun des critères retenus pour composer l’échantillon : par exemple, il n’indique pas quelle proportion d’entre eux vit dans des communes de plus de 100 000 habitants, ou quelle proportion est inactive.
4.1. Catégories surreprésentées
Ce que le compte rendu de l’enquête nous apprend du profil sociodémographique des rsv de l’échantillon figure pour l’essentiel dans un fragment du schéma de la page 40. Les autrices y ont noté des traits nettement plus présents chez les rsv que dans l’ensemble de l’échantillon. Voici le fragment en question :

Les traits surreprésentés chez les rsv ne sont pas indépendants les uns des autres : par exemple, le fait que les jeunes soient plus nombreux que la moyenne parmi eux explique pour partie qu’ils soient plus nombreux que la moyenne à vivre seuls ou à être célibataires sans enfants (Footnote: Pour partie seulement : il peut être plus inconfortable d’adhérer à un régime sans viande quand on est en couple avec un omnivore. Il n’est pas facile de faire que ses enfants soient pescétariens ou végéta*iens en raison des repas pris à l’école ou à la crèche, et il se peut que des parents qui renoncent à faire suivre ces régimes à leurs enfants finissent par y renoncer pour eux-mêmes.) ; le fait qu’ils soient plus diplômés que la moyenne est corrélé au fait qu’ils sont plus nombreux que la moyenne dans les CSP+.
Pour comparer la part chez les rsv des traits énumérés dans le schéma précédent à leur part chez l’ensemble des sondés, il faut consulter les pages 7 à 9 du rapport qui décrivent la composition de l’échantillon dans son ensemble. Le tableau suivant effectue cette comparaison pour 5 caractéristiques (Footnote: Ce que j’ai nommé « taux de surreprésentation » est obtenu en faisant la différence (part chez les rsv – part dans l’échantillon) puis en divisant le résultat par la part dans l’échantillon. Par exemple, sur la première ligne du tableau, on l’obtient en faisant (67 - 51)/51, ce qui donne 0,31, soit 31 %. On peut exprimer ainsi la signification de ce chiffre : la proportion de femmes parmi les rsv dépasse de 31 % leur proportion dans l’ensemble de l’échantillon.).
| Catégorie | Part dans l’ensemble de l’échantillon | Part chez les rsv | Taux de surreprésentation chez les rsv |
|---|---|---|---|
| Femmes | 51 % | 67 % | 31 % |
| 15–34 ans | 34 % | 41 % | 29 % |
| CSP+ | 41 % | 47 % | 15 % |
| Diplôme > au bac | 35 % | 45 % | 29 % |
| Région parisienne | 19 % | 25 % | 31 % |
Il est possible que certaines des catégories surreprésentées chez les rsv autodéclarés le soient encore davantage chez les personnes qui pratiquent effectivement un régime sans viande. En effet, sur le schéma de la page 35 qui indique que 45 % des personnes disant suivre un tel régime s’en écartent en pratique, une petite annotation précise que les écarts sont plus fréquents chez les hommes, les CSP- et les personnes ayant des diplômes inférieurs au bac.
« Le végétarisme, c’est un truc de bobos parisiens » disent souvent ses détracteurs. Les données que l’on vient de citer montrent qu’il y a un fond de vérité dans cette appréciation, encore qu’il faudrait corriger en « bobos parisiennes ». Il n’y a en soi rien de honteux à être parisien (ou femme, ou jeune, ou diplômé). Il n’empêche que les promoteurs du végéta*isme ont intérêt à savoir qu’ils touchent mieux certains publics que d’autres et à réfléchir aux moyens d’atteindre les catégories sous-représentées dans leurs rangs.
D’autres enquêtes, il est vrai, ont déjà conclu à la surreprésentation des femmes, des jeunes, des urbains, des CSP+ et des diplômés parmi les végétariens (et aussi parmi les flexitariens, sauf pour le critère d’âge). Mais, pour les régimes rares, les chercheurs constituent souvent leurs panels en utilisant des canaux associatifs ou des réseaux sociaux afin de réunir un nombre suffisant d’individus à étudier. Or cela introduit un biais, car les catégories que l’on vient d’énumérer sont précisément celles qui répondent le plus volontiers à des enquêtes, qui participent le plus à la vie associative, ou qui sont les plus actives sur les réseaux sociaux. L’étude de l’IFOP échappe à ce problème, car elle se fonde sur un échantillon représentatif de la population, ce qui rend plus fiables ses conclusions sur le profil des personnes suivant différents régimes.
La surreprésentation des jeunes parmi les rsv laisse-t-elle présager une progression de la part relative des régimes sans viande avec le renouvellement des générations ? L’enquête de l’IFOP ne permet ni de confirmer ni d’infirmer cette hypothèse. En effet on y apprend (p. 62) que parmi les sondés déclarant suivre un régime sans viande, 64 % disent l’avoir adopté avant l’âge de 35 ans (quel que soit leur âge au moment de l’enquête). Mais on lit aussi (p. 82) que sur les 15 000 sondés, 85 (soit 0,6 % du total) ont révélé être d’anciens végéta*iens qui ont renoncé à ce régime, ce qui n’est pas négligeable quand on se souvient que le questionnaire de fréquence n’a permis de détecter que 0,7 % de végétariens et végétaliens dans l’échantillon. Ainsi, il n’est pas étonnant que les jeunes soient surreprésentés parmi les rsv de l’échantillon puisqu’on débute plus souvent ces régimes à un âge jeune qu’à un âge avancé. Mais seule une fraction des nouveaux entrants restera fidèle au régime adopté dans la durée, de sorte qu’il est difficile d’en conclure quoi que ce soit sur l’évolution future de la proportion de rsv dans la population.
4.2. Zoom sur la répartition par sexe des végéta*iens
La répartition par sexe est l’une des rares caractéristiques pour lesquelles le rapport de l’IFOP donne le détail des résultats obtenus pour chacun des 3 régimes rares sur la base des autodéclarations (p. 11). Voici les données :
| Pescétariens (n = 167) |
Végétariens (n = 126) |
Végétaliens (n = 38) |
Total_rsv (n = 331) |
Total échantillon (n = 15 000) |
|
|---|---|---|---|---|---|
| Hommes | 26 % | 35 % | 59 % | 33 % | 49 % |
| Femmes | 74 % | 65 % | 41 % | 67 % | 51 % |
Pour les pescétariens et végétariens autodéclarés, les effectifs sont suffisants pour qu’on puisse raisonnablement conclure qu’il y a plus de femmes que d’hommes dans ces deux groupes à l’échelle de la population française. En revanche, pour les végétaliens, l’effectif est trop faible, pour qu’on puisse en tirer un enseignement général. L’écart hommes-femmes observé dans l’échantillon n’est pas statistiquement significatif. Ceci constitue en soi une information à retenir : on est incapable de déterminer si, dans la population, un sexe (et lequel) est plus représenté que l'autre parmi les véganes. Leur rareté est telle qu’il faudrait pour y parvenir travailler sur un échantillon beaucoup plus grand.
En revanche, nous pouvons établir des résultats significatifs concernant la répartition par sexe des végéta*iens (végétariens + végétaliens). Commençons par décrire sur ce plan les végéta*iens de l’échantillon et comparons-les à une autre catégorie obtenue par agrégation que j’appellerai les « carnivores » (carnivores = omnivores + flexitariens + pescétariens). Les carnivores constituent l’ensemble complémentaire des végéta*iens : en additionnant les deux, on obtient la totalité des sondés. Le tableau que voici est déduit du précédent (Footnote: Dans le tableau « végéta*iens/carnivores » , les pourcentages ont été arrondis à l’entier le plus proche pour les végéta*iens. J’ai dû laisser une décimale aux pourcentages concernant les carnivores, parce que sans cela on ne verrait pas qu’ils diffèrent des pourcentages se rapportant à l’ensemble de l’échantillon. Notons que ces derniers ne sont pas des arrondis : il y a exactement 49 % d’hommes dans l’échantillon total.) :
| Végéta*iens (n = 164) |
Carnivores (n = 14 836) |
Total échantillon (n = 15 000) |
|
|---|---|---|---|
| Hommes | 40 % (n = 66) |
49,1 % (n = 7 284) |
49 % (n = 7 350) |
| Femmes | 60 % (n = 98) |
50,9 % (n = 7 552) |
51 % (n = 7 650) |
La surreprésentation des femmes parmi les végéta*iens est statistiquement robuste. On peut en tirer une conclusion pour la population française dans son ensemble : dans la population de 15 à 70 ans, la proportion de femmes parmi les végéta*iens autodéclarés se situe très probablement entre 52 % et 67 % – et la proportion d’hommes entre 33 % et 48 % (Footnote: Cette plage correspond à l’intervalle de confiance exact de Clopper-Pearson, calculé au niveau de confiance de 95 % pour 98 femmes sur 164 végéta*iens. ).
Revenons à l’échantillon (mais ce qui va être dit vaut aussi, dans son principe, pour la population dans son ensemble). La surreprésentation des femmes est nette chez les végéta*iens (60 % de femmes contre 51 % dans l’ensemble de l’échantillon). En revanche, la surreprésentation des hommes chez les carnivores est presque imperceptible (49,1 % d’hommes contre 49 % dans l’ensemble de l’échantillon). Cela n’a rien de contradictoire : c’est le résultat mécanique du fait que les végéta*iens constituent une infime minorité de l’ensemble. Qu’une poignée d’individus – plus de femmes que d’hommes – passent du côté des végéta*iens, ne change quasiment rien au rapport hommes-femmes chez le gros des troupes (les carnivores).
Quand on regarde les résultats à la fois sur le versant végéta*ien et sur le versant carnivore, aucune de ces deux vérités n’est reléguée au second plan : 1) les femmes sont plus souvent végéta*iennes que les hommes ; 2) l’écrasante majorité des femmes, comme des hommes, mangent des animaux.
5. Déclarations, intentions et réalité : le cas des réductariens
L’adoption d’un régime sans viande a souvent pour motivation le souci d’épargner des animaux (voir p. 61). Quand on partage cette préoccupation et qu’on constate combien le végéta*isme reste minoritaire, on songe naturellement qu’il existe une autre voie pour réduire le nombre d’animaux victimes des pratiques alimentaires humaines : que les carnivores réduisent leur consommation de chair animale à défaut de l’éliminer. Cette voie semble prometteuse quand on se fie aux déclarations recueillies au fil des ans dans de multiples sondages. En effet, par rapport aux végéta*iens, les flexitariens ou réductariens (Footnote: Le réductarisme consiste à réduire sa consommation de viande et, plus généralement, sa consommation de produits d’origine animale. Le flexitarisme consiste à avoir la plupart du temps un régime végétarien, mais à s’autoriser quelques écarts. En France cependant, le mot « flexitarien » est employé dans des sens variables. Il arrive qu’il soit utilisé en lieu et place de « réductarien ». C’est le cas dans l’étude de l’IFOP Végétariens et flexitariens en France en 2020.) autodéclarés abondent. Plutôt que de se référer aux données recueillies par l’IFOP en 2020, illustrons ce point par une enquête plus récente : le « Baromètre sur la consommation de viande des Français en 2025 », une étude réalisée par Toluna Harris Interactive pour le Réseau Action Climat. Celle-ci regorge de résultats encourageants pour l’amélioration de la condition animale. Seulement 11 % des sondés souhaitent consommer plus de viande à l’avenir tandis 33 % veulent en consommer moins. De plus, les résultats de l’enquête suggèrent que la décrue est déjà nettement engagée : 53 % des sondés disent consommer moins de viande qu’il y a 3 ans (32 % un peu moins, et 21 % beaucoup moins) alors qu’ils ne sont que 12 % à déclarer en consommer plus qu’avant (7 % un peu plus et 5 % beaucoup plus).
Il est utile de comparer ces résultats à ce que nous apprennent des données qui ne doivent rien aux déclarations des consommateurs : celles issues du calcul par bilan. Pour les obtenir, on procède en deux temps. D’abord, on établit la quantité disponible dans un pays d’une certaine denrée alimentaire (la viande par exemple) de la façon suivante :
Quantité totale disponible = production + importations – exportations + diminution des stocks (ou – augmentation des stocks)
On divise ensuite la quantité totale disponible par le nombre d’habitants du pays pour obtenir la consommation par habitant. Le résultat est appelé « consommation apparente » pour rappeler que les quantités ainsi obtenues diffèrent des quantités effectivement ingérées. Par exemple, pour la viande, la quantité disponible est calculée en « équivalent carcasse » de sorte qu’elle contient le poids du gras et des os qui ne sont pas consommés. Pour le poisson, le calcul est effectué à partir du poids vif, alors que les têtes et les arêtes ne sont pas consommées. De ce fait, il y a forcément une différence entre les quantités que les gens déclarent manger dans des sondages et la consommation apparente par habitant issue du calcul par bilan. Néanmoins, la comparaison entre les deux mesures est valide quand elle porte sur des évolutions. Si les gens déclarent manger moins de viande que par le passé et que c’est vrai, on doit observer une baisse de la consommation apparente de viande. Dans le cas contraire, on doit conclure que les sondés ont une perception inexacte de leurs propres pratiques ou bien qu’ils mentent, car la tendance digne de confiance est celle qui ressort du calcul par bilan. Qu’en est-il donc dans le cas de la France ? Le numéro 443 de Synthèses conjoncturelles d’Agreste, publié en juillet 2025, contient la réponse. Voici le graphique décrivant l’évolution de la consommation apparente de viande par habitant qu’on y trouve :

Comme on peut le constater, on n’y lit pas la franche baisse de la consommation entre 2022 et 2024 que laissait présager le sondage d’Harris Interactive, ni la baisse continue qu’on devrait observer en plus longue période en se fiant à d’autres enquêtes publiées antérieurement dans lesquelles un pourcentage notable de sondés déclaraient avoir réduit leur consommation de viande ou avoir l’intention de le faire. On voit plutôt une évolution en dents de scie, au sein de laquelle on peut néanmoins détecter une tendance à la baisse si l’on choisit de comparer la consommation apparente en 2024 (supérieure à celle de l’année précédente) aux pics atteints en 2007 ou 2018. Tout dépend du point de référence retenu. La décrue apparaît très forte si on compare la situation actuelle à l’année 1992, qui fut celle où la consommation de viande en France atteignit son maximum historique.

La consommation apparente de viande par habitant était de 105 kg en 1992, contre « seulement » 85 kg en 2024.
Cependant, cette décroissance ne s’est pas accompagnée d’une diminution du nombre d’animaux abattus pour la consommation, au contraire. En effet, si la consommation de viande de bœuf recule depuis de nombreuses années, la consommation de viande de volaille progresse fortement. Pour la première fois en 2024, cette dernière a dépassé la viande de porc, devenant la viande la plus consommée en France, avec 31,6 kg de consommation apparente par habitant et par an. Ainsi, la demande de chair d’animaux terrestres se déplace vers des animaux de plus petite taille, si bien qu’ils sont plus nombreux à subir l’élevage et l’abattage.
Aurait-on constaté au moins une forte diminution de la consommation d’animaux aquatiques ? Pas vraiment, comme on peut le constater sur le graphique reproduit plus bas qui figure à la page 9 du rapport de FranceAgrimer Consommation des produits de la pêche et de l’aquaculture 2024. La consommation apparente de poisson par habitant en 2023 est quasiment identique à ce qu’elle était en 2000.

Ces évolutions ne sont pas contredites par celles concernant d’autres produits animaux. La consommation de lait liquide a diminué, mais pas celle d’autres produits laitiers. La consommation d’œufs par habitant (œufs coquille et ovoproduits) est quant à elle en croissance depuis au moins 10 ans (Footnote: Voir le document (disponible en ligne) de l’ITAVI intitulé « Marché et conjoncture de la production d’œufs en France et en Europe », du 5/12/2024. La hausse de la consommation s’est poursuivie à un rythme soutenu en 2025.).
Notons toutefois que les enquêtes qui cherchent à détecter d’éventuelles inflexions des pratiques de consommation portent très souvent sur la viande plutôt que sur l’ensemble des produits animaux. C’est donc à ce niveau qu’on a davantage d’occasions de mesurer la différence entre pratiques déclarées et pratiques effectives. On constate ainsi que l’écart entre les deux n’a rien de spécifique aux personnes se réclamant d’un style de consommation végéta*ien ou pescétarien.
Conclusion
Les faits rappelés dans cet article n’ont rien de réjouissant pour les animaux utilisés à des fins alimentaires : non, ils ne sont pas moins nombreux que par le passé à être soumis aux affres de l’élevage et de la mise à mort ; non, les végéta*iens ne sont pas devenus légion et les réductariens pas davantage.
Quelque chose a changé pourtant. Dans la France d’il y a un demi-siècle, la question de la souffrance des animaux élevés ou pêchés pour la consommation alimentaire était totalement absente du débat public et fort rarement abordée dans les travaux de recherche. Dans la France de l’an 2000, personne n’entendait parler de végétarisme ou de véganisme, à moins de fréquenter des milieux dont l’audience était tout à fait confidentielle. Hormis l’OABA, il n’y eut jusqu’à la seconde moitié des années 1990 aucune association spécialisée dans la défense des animaux destinés à la consommation. Sur ce plan, les choses ont changé du tout au tout, et en peu d’années finalement. En 2018, une enquête réalisée par le CREDOC pour FranceAgriMer et l’OCHA indiquait qu’en France, 93 % des sondés avaient déjà entendu le terme « végane ». Les collectifs et associations dénonçant les conditions d’élevage et d’abattage se sont multipliés. Qui de nos jours n’a jamais entendu parler des enquêtes de L214 ? Ce n’est pas le lieu ici de retracer les étapes de cette évolution, mais il est certain que les végéta*iens, sans être seuls à la manœuvre, ont joué un rôle majeur dans la mise sous les projecteurs du sort des animaux mangés. L’enquête de l’IFOP de 2020 en fournit des indices, bien que malheureusement les données fournies portent sur l’ensemble des rsv (personnes déclarant suivre un régime sans viande) de l’échantillon sans que les végéta*iens soient distingués des pescétariens. On retiendra que les rsv présentent un niveau d’engagement hors du commun. Un sur cinq parmi eux milite en faveur de son régime (p. 137) et comme il n’existe pas de structure promouvant le régime pescétarien, on peut raisonnablement en déduire qu’un rsv sur 5 milite pour le végéta*isme. Plus généralement, les rsv sont beaucoup plus engagés que la moyenne dans la vie associative. Ils sont 42 % dans ce cas alors que le pourcentage n’est que de 26 % chez les omnivores. Les rsv sont très fortement motivés par la cause animale et également sensibles à la protection de l’environnement. Quiconque fréquente les organisations de défense des animaux mangés constate l’importance des véganes et végétariens parmi leurs salariés et bénévoles.
Grâce à cet engagement, le véganisme a acquis une indéniable visibilité sociale et médiatique. La prévention qui se manifestait à l’encontre des personnes végéta*iennes a reculé, tandis que les thèmes portés par les défenseurs des animaux destinés à la consommation ont gagné en popularité dans l’opinion : désormais, une majorité de Français déclare accorder de l’importance au bien-être animal, et une forte majorité se déclare opposée à l’élevage intensif. Cette évolution était déjà perceptible dans l’enquête de l’IFOP examinée dans cet article, bien que les données recueillies datent de 2020. On peut lire dans la synthèse de l’étude (p. 1-2) que « 68 % des répondants pensent qu’en France on mange trop de viande » ou encore que « les positions sceptiques deviennent moins fortes, avec 45 % seulement des Français déclarant que les débats autour du bien-être animal sont exagérés, ou 49 % pour qui le végétarisme ou le véganisme est une mode qui passera ». On constate dans le rapport complet que même les omnivores se disent en majorité (56 %) intéressés par les questions animales et environnementales (p.69). On a demandé à ceux des sondés qui consommaient de la chair animale quelle était leur principale raison de ne pas être végétariens. La réponse « Je ne partage pas leurs convictions » n’a recueilli que 18 % des suffrages chez les omnivores et 15 % chez les flexitariens, largement devancée par « J’aime trop la viande/poisson pour m’en passer. » (p. 92)
Ainsi, la tolérance ou la franche approbation des positions défendues par les végéta*iens ou les défenseurs des animaux exploités à des fins alimentaires ont beaucoup progressé dans l’opinion, tandis que les comportements de consommation montraient une inertie remarquable. Nombre de théories et études empiriques sont venues éclairer les raisons de ce paradoxe. Manifestement, le travail de « sensibilisation » au sort des animaux mangés, ou encore ce que d’aucuns nomment la « bataille culturelle » contre les idéologies qui entretiennent le mépris des bêtes, ne suffisent pas à empêcher que les animaux soient élevés ou pêchés en masse pour garnir les assiettes. Beaucoup d’organisations animalistes en ont pris acte et recourent à des moyens d’action plus diversifiés. Mais sans doute arrive-t-il aux véganes engagés de longue date d’éprouver de la tristesse quand ils se remémorent les messages simples qu’on inscrivait autrefois sur des photos d’animaux en souffrance. Ces slogans qui disaient « Si on n’achète pas, on ne les tue pas », ou « Quand on sait, on arrête », n’ont pas suffi à dissuader leurs congénères de participer au massacre.
© Estiva Reus
Billet publié le 27-12-2025 sur le blog du site estivareus.com
Crédit illustration : © Frédéric Dupont
Notes
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